Nous nous approchons d’une nouvelle forme d’internet qui devrait donner plus de pouvoir aux créateurs, mais à quoi va ressembler le web dans le futur ?
Internet est aujourd’hui tellement vaste, informe et omniprésent qu’il est difficile de se souvenir des années où l’on attendait cinq minutes pour faire une recherche ou charger une photo de notre acteur préféré sur Lycos. Si les choses ont radicalement changé depuis l’époque des forums de discussion en niveaux de gris, de MSN et de Neopets, nous sommes aujourd’hui à l’aube d’un nouvel avènement du cyberespace, suscité par le sentiment croissant que le web a été trop longtemps dirigé par les grands acteurs de la technologie.
Nous sommes au milieu d’un changement de paradigme vers ce que l’on appelle le « Web 3.0 » ou « Web3 », une sorte d’idéal utopique de l’existence en ligne, également connu sous le nom de Web décentralisé. Certains avancent même que l’internet du futur sera quantique avec une sécurité accrue du réseau de communication. Alors que le Web 1.0, l’internet originel, se résumait à des pages statiques à lire uniquement, le Web 2.0 a vu le citoyen moyen se transformer en participant actif sur le net par le biais des réseaux sociaux, en postant de la vidéo, des photos Instagram affriolantes et des tweets hargneux, par exemple. Cela a conduit, cependant, à ce qu’un petit groupe d’entreprises de la Silicon Valley (Google, Facebook, Amazon) contrôle 50 % des dépenses mondiales de marketing. Et les gens – ce qui est compréhensible – veulent changer cela.
Cette troisième itération, le Web 3.0, permettra, espérons-le, aux utilisateurs de se débarrasser des intermédiaires grâce à la blockchain, qui, en théorie, donne le pouvoir aux créateurs et aux artistes. Les NFT en font partie (bien que beaucoup ressemblent à des systèmes pyramidaux, sauf de nom). Alors que internet connaît aujourd’hui une vague d’utilisateurs qui s’engagent dans des domaines tels que la crypto-monnaie, les NFT et les DAO (organisations autonomes décentralisées), certains appellent le stade auquel nous arrivons le « Web 2.5 », un espace liminal où l’on a l’impression que les choses changent, mais pas assez radicalement pour que notre expérience du web soit complètement différente. La réalité virtuelle, l’IoT (internet des objets) ou encore l’intelligence artificielle font également partie intégrante du Web 3.0.
Le Web 2.5 est-il le metavers ?
Est-ce que cela impliquera un Mark Zuckerberg mal rendu parlant sinistrement de sauce BBQ ? Eh bien… non. Le metavers est plutôt d’un terme utilisé pour décrire les nouvelles plateformes virtuelles qui s’ouvrent et qui permettent aux gens de s’abonner au contenu qu’ils consomment et, surtout, de payer ceux qui l’ont créé. En termes simples le metavers est un monde virtuel fictif. Il est défini comme un monde en ligne où les gens peuvent jouer, faire des affaires et se rencontrer dans un environnement virtuel, généralement à l’aide d’un casque VR, et est présenté comme la prochaine grande avancée technologique.
Mark Zuckerberg a lancé la course au metavers. Le 28 octobre dernier, à l’occasion de l’événement Facebook Connect 2021, le géant des réseaux sociaux a annoncé le changement de nom de Facebook en Meta, bien évidemment en référence au metavers. Depuis, Facebook embauche à tour de bras pour prendre sa place au sein de cet univers virtuel fictif. D’ailleurs, il a pour projet d’embaucher 10 000 personnes en Europe dont certains en France au cours des 5 prochaines années.
— Mat Dryhurst (@matdryhurst) January 29, 2022
On utilise souvent l’expression Web 2.5 pour décrire des services tels que Substack (site d’information) ou Patreon (plateforme de financement participatif), qui font lentement évoluer le public vers la gratuité. On utilise 2.5 dans ce contexte parce qu’il est fort probable que le Web 3.0 éclipsera inévitablement ces services. En ce sens, le Web 2.5 est utilisé comme terme de transition.
Mais tout le monde n’est pas fan de ce terme, notamment les personnes qui trouvent les chiffres ronds plus agréables à manier. Mais au rythme glacial auquel la technologie semble parfois évoluer, il est utile d’avoir une sorte de repère pour savoir où nous en sommes. Il n’y a pas vraiment de Web 2.5 à proprement parler, mais plutôt un Web 2.0 en costume d’homme d’affaires, dans la mesure où les principales plateformes Web ont repris le contrôle et les parts de marché par rapport au marché libre et à la démocratisation que nous avons connus en 2005 avec le Web 2.0.
Le mécontentement croissant à l’égard des grandes entreprises technologiques (l’investissement de Spotify dans les technologies de défense de l’IA tout en payant des musiciens au compte-gouttes, par exemple) signifie que la prise de pouvoir de ces monopoles technologiques est de plus en plus attrayante. Les données informatiques sont reines pour ces entreprises technologiques maintenant et plus nous voulons utiliser ces outils, plus elles ont besoin de données pour générer des revenus. Le vieil adage « Si c’est gratuit, vous êtes le produit » n’a probablement jamais été aussi vraie.
Les plateformes décentralisées du Web 2.5 seront-elles adoptées ?
Si nous devons payer les créateurs pour des choses que nous obtenions auparavant gratuitement, est-ce financièrement viable pour nos concitoyens fauchés ? On pense que le fait de payer pour du contenu virtuel permettra d’obtenir un meilleur rapport qualité-prix, ce qui pourrait être positif pour la culture. Il y a des exceptions à cela, mais souvent la production de contenu gratuit conduit à des résultats assez bon marché. Là où on risque de rencontrer un problème, c’est qu’en fin de compte, tout le monde ne peut pas se permettre de débourser 50 à 100 euros par mois pour diverses sources médiatiques.
Ce qui est difficile dans tout ce discours sur le web, c’est qu’il est difficile d’imaginer l’avenir d’internet en technicolor dans la vie réelle. Un exemple concret, tiré du producteur Plastician, montre qu’une DAO n’aurait pas besoin d’être adoptée par le grand public pour être utile. « Vous pourriez créer une DAO axée sur la propreté de votre rue et faire en sorte que vos voisins s’engagent et investissent et bénéficient collectivement. Si la rue reste propre, c’est un succès », a-t-il déclaré. L’écrivain culturel Andrew D. Leucke estime que « le Web 3.0 pourrait provoquer la réapparition de véritables sous-cultures », car il est basé sur « la propriété traçable et la fausse rareté à laquelle il faut adhérer… beaucoup ne participeront jamais au Web 3.0 et feront partie de sous-cultures du Web 3.0 ».
Mais ce type d’avantages utopiques va de pair avec des préoccupations concernant la décentralisation et la dérégulation des plateformes. Si l’on peut affirmer à juste titre que des informations fausses ou trompeuses sont imprimées tous les jours dans les journaux en France, des communautés privées et totalement déréglementées pourraient également favoriser la désinformation, les théoriciens de la conspiration et les antivax ayant plus de pouvoir pour financer et diffuser de fausses idées. Si vous pensiez qu’un Joe Rogan était mauvais, préparez-vous à en voir beaucoup, beaucoup d’autres.
I’ve spent ~10yrs trying to fix and prevent societal issues on the internet. I’m begging my fellow technologists running towards web3 to take the lessons of Web 2.0 with you. What I’ve seen so far lays the foundation for serious future problems. 1/5
— Beth Dean (@bethdean) January 2, 2022
Beth Dean, responsable de la conception des produits chez Meta, a tweeté que « le Web 3.0 sème les graines du désastre environnemental, de la pénurie artificielle et du mépris général pour les mauvais acteurs ». Le monde a demandé un internet plus réglementé, avec plus de transparence et de responsabilité. Actuellement, le Web 3.0 rend toutes ces choses aussi difficiles que possible dès le départ ».
L’artiste digital berlinois, Mat Dryhurst, est toutefois plus optimiste. Il pense que la transition vers des modèles de soutien meilleurs et plus diversifiés pour les médias et l’art sera très utile pour soutenir et récompenser un travail solide. D’après lui, cela va être compliqué, mais il est convaincu que c’est la bonne démarche.